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Georges ZINK

 

Geoerges Zink

Poète Sundgauvien né le 14 février 1909 et décédé à Paris le 30 avril 2003, originaire de Hagenbach, grand germaniste, professeur à la Sorbonne et titulaire du « Oberrheinische Kulturpreis ». Le « Minnesänger » alsacien des temps modernes, tel qu'on le dénommait souvent, a su s'imposer dans la littérature alsacienne.

1931 - à Heidelberg
1931 - à Heidelberg

Georges Zink en 1976
1976

1934 - Mariage avec  Marthe COHN
1934 - Mariage avec Marthe COHN


 Georges Zink (à droite)  avec ses frères et soeurs en 1947
1947 - avec ses frères et soeurs (Georges à droite sur la photo)

 


Le 23 avril 2010 a eu lieu à Hagenbach, une soirée en hommage au poète Georges Zink, consultez l'article dédié à cette soirée ICI

Notice nécrologique pour l'Annuaire des anciens élèves de l'Ecole Normale Supérieure

        " Il est inhabituel qu’un fils signe la notice consacrée à son père. Il n’est pas, du reste, le mieux placé pour le faire. L’étroitesse des liens qui l’attachent au disparu et la crainte de paraître vouloir tirer gloire de ce qu’il fut le contraignent à un ton neutre et à une mesure dans l’éloge auxquels un autre ne se sentirait pas tenu. Mais la promotion 1928 est lointaine. Ceux qui ont bien connu mon père à l’Ecole et ont été ensuite les amis d’une vie sont partis avant lui.

 

Georges Zink était fier du chemin qu’il avait parcouru et il estimait que sa dette à l’égard de l’Ecole était immense. Il avait raison sur les deux points.

Il était né le 14 février 1909 à Hagenbach, aujourd’hui dans le département du Haut-Rhin, le dernier de sept enfants. Ses parents étaient cultivateurs, propriétaires d’une très petite exploitation (sept hectares, plus quatre pris en fermage). Autour de lui, dans cette Alsace rurale alors rattachée à l’empire allemand, on parlait le dialecte, ou l’allemand quand il le fallait vraiment. Le français était inconnu. Dès les premières semaines de la grande guerre, pourtant, les troupes françaises occupèrent le village et purent s’y maintenir. Le front devait bientôt, et pour toute la durée du conflit, se stabiliser trois kilomètres plus loin, entre Hagenbach et Altkirch. Le premier soin de la France fut de nommer un instituteur – il n’en manquait pas parmi les mobilisés. Mon père, alors âgé de cinq ans, commença donc ses études dans cette langue nouvelle pour lui, qu’il avait découverte en écoutant les soldats cantonnés chez ses parents. Comment retracer son enfance et sa scolarité, d’abord à l’école de son village, puis, jusqu’au baccalauréat, au collège d’Altkirch, sans paraître sacrifier à l’hagiographie dans le style de l’élitisme républicain ? [1] Chaque jour, neuf kilomètres à vélo dans chaque sens pour le petit élève de sixième, qui rapporta à la fin de l’année dans la ferme paternelle le prix d’excellence et tous les autres prix. Son père fit alors faire par le menuisier du village un meuble bibliothèque pour y placer ces livres, les premiers qui entraient dans la maison. Les années suivantes furent semblables à la première et la bibliothèque se remplit. Ses études n’en étaient pas moins menacées : ses aînés quittaient l’un après l’autre la maison et, le jour où celui qui le précédait partit pour le service militaire, leur père décida qu’il devait arrêter ses études pour travailler à la ferme. Si effacée qu’elle fût, sa mère plaida ce jour-là efficacement sa cause en mettant en avant sa scolarité brillante. Un jour – il était alors en troisième ou en seconde – il trouva dans un dictionnaire quelques lignes consacrées à un établissement nommé Ecole Normale Supérieure. Cette école, disait-on, formait des professeurs et on y entrait sur concours après le baccalauréat. Il pensa que c’était là ce qui lui convenait, et il le pensa sans la moindre outrecuidance, puisque rien dans l’article ne laissait supposer que le concours d’entrée pouvait être difficile.

Aussi, après le baccalauréat, il entra en khâgne au lycée Fustel de Coulanges, à Strasbourg. Un de ses frères, établi dans cette ville, l’hébergeait et le nourrissait. A cette condition, son père avait accepté qu’il fît un an d’études supérieures. La khâgne de Fustel de Coulanges regroupait en une seule classe hypokhâgneux et khâgneux. Au total, ils étaient cinq ou six. Mon père avait comme condisciple Marc Santoni (1930), plus tard mon parrain, dont le père était leur professeur de lettres. A la fin de l’année, tous se présentèrent et le miracle se produisit : Georges Zink, et lui seul, fut reçu au concours – dernier de la liste. Le contrat passé avec son père était rempli. Un an après le baccalauréat, il n’était plus à sa charge, il était entretenu par l’Etat (à défaut de percevoir un traitement comme les normaliens d’aujourd’hui), il pouvait poursuivre ses études.

On imagine le dépaysement du petit paysan alsacien débarquant à Paris et découvrant l’Ecole. Les talas le recueillirent. Il leur en resta reconnaissant, tout en leur gardant rancune de l’avoir dissuadé d’assister à je ne sais quel banquet de rentrée, au motif qu’on y chantait des chansons grivoises. Cette rancune s’ajoutait à celle – bien réelle, celle-là – qu’il gardait au brutal curé de Hagenbach, dont il avait servi la messe chaque matin dans son enfance et qui lui avait infligé des avanies et des injustices encore douloureuses quatre-vingts ans plus tard. Tala, il le resta fidèlement et profondément toute sa vie, avec générosité et avec une grande faim d’œcuménisme, mais il n’était guère clérical.

Tout naturellement, il se tourna vers l’allemand. Mais l’émerveillement que lui procurait son nouveau milieu le poussait à trouver des amitiés bien au-delà du cercle des germanistes : Roger Bernard (1928), Maurice Le Lannou (1928), Henri Queffelec (1929), Marc Santoni (1930), et d’autres encore. La personnalité la plus remarquable de la promotion 1928 était, bien entendu, Simone Weil. Sur le moment, mon père, comme beaucoup de ses camarades, fut plus agacé que séduit. Le regard qu’il portait sur elle devait changer plus tard sous l’influence de sa femme, dont il fit la connaissance vers la même époque sur les bancs de la Sorbonne, où elle était étudiante d’allemand. L’itinéraire et les écrits de Simone Weil, lorsqu’ils furent connus, ne pouvaient que la toucher, elle qui, demi juive et élevée hors de toute religion, s’était convertie au catholicisme.

Après l’agrégation, Georges Zink fut nommé professeur au lycée de Troyes, puis au lycée Michelet à Vanves. Quand la guerre survint, il fut affecté comme lieutenant interprète à l’état-major du général Juin. Fait prisonnier avec l’ensemble de la division, il fut interné à l’Oflag 2D, en Poméranie. Il refusa d’être libéré comme alsacien, ce qui aurait fait de lui un sujet du Reich et aurait placé sa femme dans un danger immédiat, mais il le fut cependant sans conditions moins d’un an plus tard. Il retrouva ainsi sa famille, ses deux petites filles, Anne, née en 1935, et Odile, née en 1938, l’appartement d’Issy-les-Moulineaux et la petite maison du Morvan, achetée à la veille de la guerre. Je devais naître en 1945.

En 1948, il soutint la thèse qu’il avait entreprise sur Les légendes héroïques de Dietrich et d’Ermrich dans les littératures germaniques. Son maître aimé et vénéré, Ernest Tonnelat (1898), mort peu de temps auparavant, fut remplacé comme rapporteur pour la soutenance par le scandinaviste Alfred Jolivet (1905). Immédiatement après, dans le courant même de l’année universitaire 1948-1949, il fut nommé maître de conférences, au sens que ce titre avait alors, à la Faculté des Lettres de Lyon, ville où il s’installa avec sa famille à l’automne 1949. Il devait rester professeur à l’université de Lyon jusqu’en 1965. Ce furent pour lui des années heureuses. Peu après son arrivée, quelques jeunes professeurs de la Faculté des Lettres, dont certains se connaissaient depuis l’Ecole, se lièrent d’une amitié si vive et eurent la chance de voir leurs épouses entrer si entièrement dans cette amitié qu’ils formèrent un « groupe » – c’est le mot même qu’ils employaient. Un dîner les réunissait chaque mois, successivement chez chacun d’entre eux. Ce groupe chaleureux et presque fraternel resta uni pendant les dix-sept ans que mes parents passèrent à Lyon : Roger Arnaldez, René Bady (1927), Julien Guey (1930), Jean Pouilloux (1939), Henri Metzger (1932), Jean-Georges Ritz et leurs épouses. Mon père avait été bien accueilli par l’autre germaniste de l’université, Jean-Jacques Anstett. Ses cours, portant sur des sujets très variés et dépassant largement le cadre de la philologie et des études médiévales, avaient un grand succès, y compris l’enseignement de norrois qu’il avait créé. Sa bienveillance, sa simplicité, sa bonne humeur le faisaient aimer des étudiants. En 1963, il fut nommé Docteur Honoris Causa de l’université de Francfort. Pendant cette période, il eut aussi la satisfaction de voir ses trois enfants devenir normaliens.

 En 1965, il fut nommé à la Sorbonne dans la chaire de Maurice Colleville (1919), auquel il avait déjà succédé à Lyon. Ma mère et lui s’installèrent dans un appartement en haut du boulevard Saint-Michel. Le petit paysan du Sundgau avait conscience d’être au faîte du cursus honorum universitaire. Ses travaux dans le domaine de la philologie et des littératures germaniques anciennes lui valaient un respect unanime. Il affronta les événements de 1968 sans raideur et sans démagogie. Il venait alors d’être nommé président du jury de l’agrégation d’allemand. Lui qui était si peu manœuvrier et si peu fait pour les charges administratives, il sut faire en sorte que le concours se déroulât dans les meilleures, ou les moins mauvaises, conditions possibles, son ouverture d’esprit et sa simple dignité d’honnête homme dépourvu d’arrière-pensées se révélant pour finir plus efficaces que les calculs des habiles. Au bout de deux ans, il quitta la présidence de ce jury pour siéger avec un grand bonheur à celui du concours de l’Ecole. En 1971, il fut fait chevalier de la Légion d’honneur.

Le grand coup qui le frappa fut, en 1973, la mort de sa femme. De tempéraments différents, ils formaient un couple très uni. Germanistes tous deux, ils partageaient la même culture, aimaient les mêmes romanciers, les mêmes poètes. Il lui laissait le soin d’organiser leur vie sociale, pour laquelle elle avait plus de dispositions et de facilités. Il se reposait sur elle pour toutes les questions domestiques, pratiques et matérielles. Il souffrit profondément de sa disparition et, malgré son courage, se sentit désemparé. Il prit sa retraite quatre ans plus tard. Il ne se soignait plus aussi bien que lorsqu’elle veillait sur lui. Il porta les marques du grand âge plus tôt que si elle était restée à ses côtés.

Retracer la carrière universitaire de Georges Zink, c’est laisser dans l’ombre une part de sa vie et de son activité dont l’importance à ses propres yeux n’a cessé de grandir jusqu’à occuper dans les derniers temps toute la place. Très tôt, il avait commencé à écrire des poèmes dans sa langue maternelle, le dialecte alsacien du Sundgau. Il avait alors peu de modèles et peu de prédécesseurs, en dehors de son aîné Nathan Katz, avec lequel il fut plus tard très lié. Sa compétence de philologue lui servit à inventer des usages graphiques adaptés à cette langue purement orale. Ses poèmes étaient des poèmes idylliques ou élégiaques, chantants et limpides, qui évoquaient la vie au village, les travaux et les jours, les amours rustiques. Lui qui avait quitté l’Alsace à dix-neuf ans pour ne plus jamais y vivre, il gardait en lui, fraîche et intacte, l’image d’une vie campagnarde ancienne et depuis longtemps disparue. Ce monde de son enfance était resté son monde et l’alsacien sa langue. Il parlait dans ses rêves, et c’était toujours en alsacien. Il avait conservé une trace d’accent alsacien en allemand comme en français. Plus tard, les préoccupations religieuses et les inquiétudes touchant le destin du monde devaient prendre une place toujours plus insistante dans sa poésie ; elle se rapprocha alors de celle de son compatriote, ami et voisin à Paris Alfred Kastler (1921), qui, pour sa part, écrivait en allemand, et non en dialecte.

Longtemps il n’imagina pas que ses poèmes pourraient intéresser qui que ce fût. Il se contentait de les lire à sa femme ou à quelques amis qui pouvaient les comprendre. Tout juste s’il en avait publié quelques uns dans des revues locales. Et puis, vers la fin des années soixante, l’intérêt pour les cultures régionales s’affirma. Ses poèmes furent publiés en volume, mis en musique, firent l’objet de mémoires de maîtrise. A Hagenbach, le chemin qui passait devant la ferme paternelle fut baptisé « Rue Georges Zink » et FR3 Alsace vint filmer le poète aux champs. De tout cela, il tira une grande joie. Dans les derniers temps, il soulignait sans cesse que ses poèmes en alsacien étaient l’œuvre de sa vie et il les récitait par cœur alors qu’il avait oublié tant d’autres choses.

Le grand âge était venu. Presque impotent, il ne pouvait plus sortir de chez lui. Le temps était loin où il allait tous les lundis soir au Balzar retrouver devant un demi (à vrai dire, devant plusieurs demis) Roger Bernard et Maurice Le Lannou. Mais il était patient et serein. Pour citer de lui un dernier trait, qu’on aura peine à croire, s’agissant d’un universitaire, il me semble bien ne l’avoir jamais entendu dire vraiment du mal de que qui que ce soit. "

                                                                                                                                            

                                                                                                                 Michel Zink (1964)


[1] Georges Zink a publié ses souvenirs d’enfance sous le titre Histoire de quand j’étais petit. Une enfance à Hagenbach, Illkirch, Editions du Verger, 1992.

Une enfance à Hagenbach

 "Une enfance à Hagenbach"

 

 

Une enfance à Hagenbach, Illkirch, Editions du Verger, 1992.